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Le papillon

NARRATION(S)

Le papillon est un enchaînement de gestes. Un masque réalisé en papier mâché est placé sous une table sur laquelle a lieu une partie de jeu de rôle. Ce faisant, il devient le réceptacle, pour ceux qui veulent bien y croire, de l'esprit fictif du papillon.

 

Ce geste tente de connecter l'espaces fictif et l'espace réel.

On dit du masque du papillon qu'il est le réceptacle d'un esprit fictif.

 

Un certain nombre de personnes s'était approché pour entendre mon récit. Ils se tenaient en arc de cercle, autour de moi, qui me tenais debout. J'avais en main un objet drapé dans un linge blanc, noué soigneusement par deux brins de laine rouge. Je parlais alors du papillon : il y avait eu un jeu de rôle. Menés le long d'un récit, trois amis avaient incarné des personnages, membres d'un village de l'extrême sud de l'Argentine : une communauté précolombienne, en autarcie au milieu des grandes plaines de Patagonie. Leur village était construit autour d'une source, qu'un étrange singe venait purger à chaque printemps, à l'aide de sa longue trompe d'un bleu profond. On célébrait alors la nouvelle année, par de nombreuses festivités. Or, le printemps était venu depuis quelques temps déjà, et le papillon n'était toujours pas passé. La source, naturellement trop riche en souffre, empestait, et les enfants tombaient tour à tour malades. Évidemment, Le doyen et la sage-femme du village tinrent conseil. Il advint que les trois protagonistes partiraient à la recherche du papillon, en se fiant à un pendule magique, et qu'ils ne reviendraient pas avant de l'avoir trouvé. Ils partirent effectivement. Au bout de quatre jours de marche, au milieu des hautes herbes, ils le trouvèrent étendu et suffoquant. Écrasé sous son propre poids malgré sa maigreur, le singe-papillon ne respirait presque plus : il agonisait. Il sentait la sueur, et son poil humide poissait contre son corps. Les jeunes gens savaient accompagner les êtres dans la mort, à l'aide de quelques chants précieux. Chose notable : le rituel eut lieu sur deux plans de fiction, car les joueurs eux-mêmes entreprirent ces chants. Le rituel accompli, le papillon rendit l'âme. Les personnages rapportèrent son crâne à leur village, que le doyen sépara en deux. Ainsi, depuis cette époque, on utilise le masque du papillon pour purger une fois par an la source. Et la vie reprend son cours.

Les participants étaient satisfaits d'avoir mené le récit à son terme. Je leur expliquais alors : lorsqu'un masque est conçu, il faut traditionnellement y loger un esprit en ayant, par exemple, recours à la magie. Je vous ai raconté une histoire, et vous y avez prêté foi durant un certain temps. Quelque part dans un sous-ensemble de la réalité, vous avez vécu cette histoire. Le rituel d'apaisement permettait dans le récit d'inscrire le papillon dans sa relique, qui prenait la forme d'un masque. Mais il permettait également, dans la réalité, d'inscrire l'esprit fictif du papillon dans un masque réel. Je sortais de sous la table de jeu un masque enveloppé, que j'avais placé là avant la partie.

L'esprit dans le masque est enchâssé, maintenant ; et le masque est sur mon mur.

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